▲ Takuji, 35, cuisinier – Dotonbori, Osaka
Grâce à une application pour téléphone intelligent que j’utilise souvent, je suis allé me perdre dans une rue microscopique parallèle à la fameuse rue commerçante et piétonne de Dotonbori, je suis allé me perdre donc pour trouver un petit restaurant d’okonomiyaki. L’endroit était plein mais une place m’attendait, une place avec ces fameuses plaques chauffantes que le ou la serveuse vient allumer lorsque vous vous asseyez.
Lorsque je suis entré, je n’ai pas tout de suite vu Takuji mais plutôt le propriétaire et la serveuse. Je ne pensais pas non plus faire un portrait dans cet endroit à ce moment-là. Je n’imaginais pas encore que je dégusterais de très bons plats, que je noterais ce lieu dans mon carnet d’adresses pour y revenir une autre fois. Content donc de ce petit restaurant qui ne payait pas de mine, au moment de partir, je me suis mis à discuter avec Takuji et comme il était tard, les commandes n’arrivaient plus aussi soutenues et il avait quelques instants à me consacrer.
Il n’a pas toujours été cuisinier mais travaille dans ce restaurant depuis huit ans. Il a en fait commencé comme serveur et il a décidé de passer derrière le comptoir, côté cuisine un jour. À force de voir le chef les faire, de s’entraîner pendant ses pauses, au moment où l’assistant du chef et propriétaire a décidé de partir, Takuji a proposé ses services et la transition s’est opérée tranquillement. Quand je lui ai annoncé que j’avais beaucoup apprécié les okonomiyaki, il fut ravi et il me demanda comment j’avais réussi à trouver l’endroit.
Pour faire son portrait, j’ai réussi à me glisser dans le côté cuisine en demandant l’approbation du responsable affairé à émincer quelque chose juste à côté de moi.
Takuji habite à Osaka depuis plus de 10 ans. Il est originaire de Kyoto où il rentre souvent. Eu égard à la distance, on le comprend. Il m’a semblé très fier de sa ville natale et de son patrimoine. Comme il s’agit de la ville où je me suis rendu le plus, il a pu se rendre compte qu’il ne parlait pas à un plaisantin. J’ai même insisté en lui expliquant que je m’y rendais le surlendemain.
Dotonbori est très touristique, Takuji voit donc des clients occidentaux dans son restaurant de temps en temps. Il me racontait que certains devaient être français car leur langue parlée avait ce côté français indéfinissable. Il ne parle pas ma langue mais prétend pouvoir la reconnaître, sans toutefois vraiment savoir pourquoi. La prononciation et l’intonation m’a-t-il dit.
Restaurant San-pei 法善寺 三平 (Osaka)
▲ Morishita san, 51, collectionneur – Sannomiya, Kobe
La première fois que je m’étais rendu à Kobe l’année précédente, j’avais voulu visiter ce magasin : « Hyper Maurice » que j’avais repéré dans mon guide japonais et qui semblait vendre de vieux objets de collections comme je pouvais en avoir lorsque j’étais enfant. Pour des raisons de calendrier, la boutique était fermée. Cette année, il en fut autrement.
Morishita san était derrière son minuscule comptoir, au milieu de sa caverne d’Ali Baba, au milieu de ses millions d’objets, tous européens et aux trois quarts français. La planche où se trouvaient de nombreux porte-clés fixés sur des crochets m’arracha une larme. J’avais l’impression de retrouver mon enfance devant ces pièces de plastique transparent qui mettent en valeur une marque. J’en avais plein moi-même et comme de nombreux jouets qui seraient devenus de véritables pièces de collections aujourd’hui, ils ont dû partir à la poubelle… Morishita san s’amusa de mes émotions.
Les petites voitures, les Bibendum Michelin, les vieilles montres avec un poignet en tissu, le panneau lumineux du Loto… il y avait de quoi rester des heures pour fouiner, pour découvrir d’autres objets de mes jeunes années. Collectionneur fou, il a décidé d’ouvrir sa propre boutique pour mettre tout cela en vente il y a plus de 20 ans. Déjà à l’université, il collectionnait de tout… tellement de choses qu’il ne pouvait en nommer. Je le narguais en lui disant que j’avais commencé au collège et que j’avais tout fait, des paquets de cigarettes aux bidons d’huile en passant par les timbres, les canettes de soda ou encore les porte-clés et qu’il faudrait demander à mes parents sidérés par certaines collections.
Il travaille avec un ami/collègue français pour importer les objets de sa collection. Morishita san a bien appris le français mais ne le parle pas. Je n’ai d’ailleurs pas réussi à lui soutirer un mot de la langue de Molière. Par fausse modestie, il n’a peut-être pas voulu s’y risquer devant un locuteur natif. Ce n’est pourtant pas un homme timide ou qui a la langue dans sa poche. Cet homme guilleret ne se gênait pas pour être familier avec moi et sa bonne humeur m’amusait beaucoup. Avec ce collègue donc, il parle en anglais.
Il se rend souvent en France pour le plaisir mais aussi pour son magasin. Lorsqu’il m’a annoncé qu’il s’y était rendu plus de 90 fois, mon visage a affiché une bouche grande ouverte…
Le nom de son magasin vient en partie de son nom : Morishita, Maurice… en sortant, comme j’ai aperçu un tirelire en forme de colonne Maurice, je n’ai pu m’empêcher de la prendre de son étagère pour lui expliquer qu’elle portait aussi ce nom de Maurice. Cela n’a pas semblé l’étonner plus que cela. Était-il déjà au courant ? Je ne le sais pas.
Morishita san vient de Kobe.
Hyper Maurice ハイパーモーリス (Kobe)
▲ Kazuki & Haruka, 28 & 33, acheteurs – Ebisu
Kazuki et Haruka ont d’abord hésité. Ils se sont regardés. Ils m’ont regardé. Ils se sont regardés à nouveau et leurs visages exprimaient cette incompréhension effarée : « Non mais pourquoi veux-tu nous prendre en photo ?! »
J’ai tout d’abord cru qu’ils ne voudraient pas… que pendant les premières minutes de notre discussion, ils allaient me dire que ce n’était pas possible. D’abord, il était nécessaire pour moi de montrer mes intentions et pour eux de savoir ce que je ferai du cliché. Pour une publication en ligne, cela n’était pas envisageable. Je leur promis donc qu’ils seraient méconnaissables et après plusieurs coups d’œil, ils acceptèrent.
Pour les rassurer, j’ai tenu à rester avec eux un peu plus longtemps que d’habitude, au pied de leur banc, une façon de les remercier mais surtout, une façon pour moi d’en savoir un peu plus sur cette demande spécifique : pas de mise en ligne.
Je commençais par leur demander pourquoi ils étaient là (généralement la cinquième et dernière question systématique de mes entretiens photographiques) et j’avais vu juste. Ils célébraient l’anniversaire de Kazuki dont la date était la veille, le 17 mai. Je levais ma main pour un « tope-là » avec lui car à trois jours près, nous étions frères de date. L’atmosphère se détendit aussitôt et cela fit plaisir à Kazuki bien plus que je ne l’aurais imaginé. J’en profitais donc pour qu’ils me racontent leur programme des festivités.
Ils avaient décidé de passer le week-end à Tokyo à cette occasion. Arrivés la veille, ils repartaient vers Kanagawa peu de temps après notre rencontre. Entre les balades dans la capitale, le restaurant, un bar à magie, une nuit à l’hôtel, tout avait l’air de réjouir Kazuki. Il me parla avec enthousiasme du bar à magie où l’artiste avait réussi un tour incroyable en glissant une carte à jouer dans une bouteille d’eau. Vraisemblablement, Haruka avait composé un programme qui avait réjoui son petit ami. Ils étaient donc sur ce banc au moment de notre rencontre, à discuter de leur week-end et de ce qui lui avait le plus plu.
J’avais gagné leur confiance, je pouvais passer à ma question plus personnelle : où s’étaient-ils rencontrés ? Là encore, j’avais vu juste : le travail. Je compris aussitôt que la relation était professionnellement illégale et que l’entreprise ne pouvait apprendre qu’ils sortaient ensemble. Pas question donc de donner un indice photographique évident sur la Toile. Kazuki m’expliqua clairement que si cela venait à se savoir, ils seraient l’un et l’autre licenciés.
Haruka vient d’Ibaraki et Kazuki de Tochigi. Ils viennent souvent à Tokyo pour sortir et pour être tranquilles, loin des collègues.
▲ Atsutaka, 36, nez – Ebisu
Atsutaka prenait des photographies des fleurs qui se trouvaient un peu plus loin sur sa gauche. L’appareil dans sa main droite, un flash relié à l’appareil dans l’autre, il semblait faire de la macrophotographie. J’ai attendu qu’il finisse pour m’approcher et lui demander. Je me suis dit qu’il serait sympathique d’avoir un photographe dans mes portraits.
Il fit un geste de la main pour me dire qu’il n’avait strictement rien d’un professionnel mais qu’il adorait ce support et qu’il prenait des cours. Justement, il était en cours ! Chaque week-end, Atsutaka suit l’enseignement d’un photographe professionnel. Cela commence généralement par une leçon sur un thème donné suivi d’une mise en pratique puis d’un retour sur les clichés de chaque participant. Des « collègues » tournaient avec lui autour de ce fameux lieu de Garden place et faisaient des photographies. Ils étaient tous arrivés depuis Shibuya une heure plus tôt.
Cet homme souriant accepta aussitôt, sans que cela ne lui pose le moindre problème. Avec ce sourire enjoué qui fait plaisir à voir. Avant que je puisse discuter avec lui, une fois son portrait terminé, il me demanda le mien aussitôt et me mis à l’endroit même où je l’avais pris. Il semblait ravi, lui qui n’a pas vraiment l’habitude de prendre des personnes avec son Pentax K-5. Ce que je l’avais vu prendre un peu plus tôt représentait plutôt l’essentiel de ses compositions auxquelles il fallait ajouter les paysages, les animaux et surtout un grand intérêt pour les montagnes. Je pus réaliser son intérêt grâce à sa carte de visite qui présente un zosterops du Japon dans une ambiance rose de cerisiers en arrière-plan.
Au moment où je finis par aborder le sujet du travail, je fus stupéfait à l’annonce de sa profession : nez ! Voilà un métier rare, un métier très impressionnant pour moi, un métier que j’aurais adoré faire. Devant mon emballement, Atsutaka se rabaissa – à la japonaise – à m’expliquer qu’il ne composait que des parfums d’intérieur, des produits pour la maison. Il me précisa qu’il n’avait rien d’un parfumeur, ce que je comprenais mais qui n’empêchait pas mon admiration pour autant. Une admiration sincère qui finit par le toucher. S’il ne s’est jamais rendu à l’étranger, il connaît Grasse pour son jasmin. L’odeur de cette fleur, qui faisait partie de nos odeurs préférées à tous les deux.
L’étonnement fut complet lorsqu’il m’annonça qu’il venait de Fukushima, d’un des endroits les plus touchés par le séisme de mars 2011. S’il se trouvait à Tokyo ce jour-là, ses parents se trouvaient bien dans la maison familiale qui a tenu, par magie… une magie qu’Atsutaka ne s’explique toujours pas quand il a vu par la suite l’étendue de la catastrophe.
Je l’ai recroisé quelques minutes plus tard, avec un collègue et il m’a fait signe de la main pour me saluer. Nous nous sommes contactés par la suite par courriel pour échanger les portraits de chacun.
Toujours sympa et varié…
On en redemande toujours!
Marchi marchi… 😳
Serait-il possible de voir le portrait qu’Atsukata a pris de vous, Cédric ?
Après avoir vu tant de portraits que vous avez réalisé, il serait intéressant de vous voir jouer le jeu du portrait 🙂
Ha ha !
Merci pour le commentaire Benjamin. Il est vrai que je n’aime pas beaucoup me montrer sur mon blog même si j’ai déjà pu le faire. A l’occasion peut-être… 😉
A bientôt