[suite de Y – 1 (ou K – 4)]
N’est pas humble celui qui se hait.
Cioran – De l’inconvénient d’être né
Savoir s’abstenir quand cela est nécessaire. Est-ce cela l’intelligence?
Ce jeudi-là , de retour dans mon train, esseulé, je me posais la question. J’étais désemparé. La bêtise m’avait envahi et j’avais honte. La puanteur acide des voyageurs de la fin de journée m’était nauséabonde. Je vomissais sur un blouson sale. Je criais sur le bonheur d’un couple. Je pleurais sur une virilité affichée. Je les détestais. Je me détestais. N’avais-je pas massivement déconné?
– Tu peux m’attendre stp?
Je ne l’avais pas vue depuis 5 jours, je voulais lui parler, je n’en pouvais plus. Je lui avais demandé de m’attendre pour marcher ensemble le long de cette avenue bruyante, sombre, ce chemin de croix jusqu’au Golgotha: la gare. Récemment, plongé à longueur de journée dans le désert stérile de mes réflexions, les conclusions de ma discussion avec Yann, je m’étais autosuggestionné, enfoncé dans un monde virtuel n’ayant plus de prise avec la réalité. J’avais fait monter ma propre passion de manière outrancière. Au contact de Kei, ce soir-là , la confrontation à la réalité contrecarrait cette virtualité conçue intérieurement et je ne savais plus comment gérer.
J’étais maladivement muet. Les rares moments où je cafouillais quelque chose se produisaient dans une langue d’arriéré mental. Je m’en voulais, d’autant plus que j’avais plein de choses à lui dire, à lui demander. Je n’y arrivais pas. Lui proposer de prendre un verre comme cela d’un coup m’apparaissait importun, grossier et très probablement une occasion d’essuyer un refus. Là résidait bien mon problème. J’avais justement besoin de temps. Ce n’était pas via un retour sur ce ridicule sentier de mon supplice que j’aurais la chance d’exprimer quoique ce soit. Lent de nature, il me fallait systématiquement une marge pour ordonner mes sentiments, alors quand c’était important, vital ou un choix qui me changerait, de longues heures devaient s’écouler avant d’y parvenir. En ce qui concernait Kei, de nombreux rendez-vous. Certainement pas avec de pauvres instants volés comme celui-ci.
Mon besoin de lui parler avait été trop fort. Je m’étais précipité.
Sur le quai de la gare – encore cet endroit – je voulais parler mais n’y parvenais pas. J’ouvrais la bouche, aucun son n’en sortait. Je tentais de sourire, je ne faisais que montrer, dans un rictus maladroit, mes dents jaunies par les années. Je regardais le bout de mes chaussures. J’étais pitoyable!
Dans mon autoflagellation, je laissais passer un train volontairement comme pour souligner cet autisme dans lequel je sombrais. J’espérais qu’une étincelle d’intelligence allait s’allumer en moi, enflammer mon corps et qu’il reprendrait vie, que je serais à nouveau moi-même.
N’étais-je pas aussi moi-même dans ces moments-là ? Un homme effrayé par ses sentiments, un homme passionné et passionnel mais traumatisé à l’idée de toucher la passion, de me brûler jusqu’en mon sein même au contact de la vie. N’essayais-je pas, en raison de Kei, de me remettre à vivre, de passer à autre chose, de me laisser apprivoiser? Je constatais sous mes yeux que la transition ne se déroulerait pas sans angoisses.
Je ne sortais pas de ma torpeur, son train arrivait. Plus intelligente que moi, elle allait le prendre, fuir ce qui se trouvait en face d’elle, cette masse informe tenant bon an mal an sur ses deux pattes. Il le fallait!
Sottement je prononçais:
– Tu le prends?
Que cela pouvait-il bien signifier? Qu’était cette aberration interrogative? A la tonalité de ma voix, j’avais réussi l’exploit de transformer ma plate assertion en interrogation vide. Comprenant la substance de ma phrase et la réponse qui ne manquerait pas de me poignarder, je me recroquevillais. Je constatais l’acte désespéré d’un homme dont la raison avait préféré abandonner le cerveau masochiste et déraisonnable ce soir-là .
– Oui, me lança naturellement mais gentiment Kei.
– Oh oui! Fuis! Fuis-moi! Aie ce courage que je ne peux avoir. Sois forte pour toi, pour moi, pour nous.
Je ne cherchais même pas à la saluer de loin, à la regarder partir. Tirant sur le col de mon manteau, je me cachais dans la foule indifférente en attente de son train.
Sur le retour, dans les vapeurs fétides de mes lamentations cérébrales, je prenais graduellement conscience de ce que je venais de vivre, d’écrire. Je titubais sous le choc. Quelques heures plus tôt, j’avais mal commencé la journée en réalisant que j’avais perdu mon petit critérium adoré. La journée avait continué à s’écrouler, merdique. Je l’avais achevé dignement sous cet augure… Au lieu d’éviter Kei et de l’entraîner dans ma fange, j’avais tenté de m’abriter sous son aile. En réalité, je m’étais téléporté au coeur du désert de ma bêtise, sans refuge, rôtissant sous le soleil plombant de mon insanité. Voulant à tout prix éviter l’irradiation de cet astre malsain, Kei avait disparu dans la nuit anonyme et saine.
[à suivre]
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Dommage que Kei ne s’exprime pas en ces contrées, je suis sûr qu’elle nous dirait avoir vu tout autre chose que ce que le narrateur de cette histoire essaye de nous faire croire…
« On en pose un…
Qu’est-ce qu’on en retient? »
On peut pas tout avoir… 😉
Et puis je ne veux rien faire croire moi… 😀
Mais tu me poursuis avec Noir Désir tôa!
Il se passe des heures ici
Sans que rien ne troue l’ennui
Comme le temps qui coule essaie
De nous assassiner
A genoux sous la lune
Ou quand le soleil enclume
Comment se retendent les nerfs
Des révolutionnaires ?
Et comme les illusions croulent
Je pouvais pleurer tout mon soul
Attendons seulement le soir
Personne ne peut nous voir
Apprends à dormir
Glisse lentement
Sans réfléchir
Mais n’me demande pas comment
Oh, ton à¢me est lasse
Elle a du trop revoir hélas…
Les mêmes choses et les mêmes gens
Et toujours comme avant
Ici quelque part en France
En attendant l’écheance
Certains n’eprouvent ni fierté
Ni honte à être nés.
J’aime bien ton site. C’est beau. Et j’aime ce qui est beau. Mais pas que ça!
Je te mets un « autre » texte de Noir Désir…je sais pas lit et si t’as le temps dis moi ce que t’en penses… Franck
Encore un texte intéressant… merci de me faire découvrir les paroles de leurs chansons les gars! 😉
Et merci pour le commentaire Franck. 😀
J’arrive pas a resister à l’envie de te mettre un 2 eme texte ::::::::::::::::::::
« Oh chaque nuit se réduire en cendre
Se laisser répandre
Dans les lavabos blancs
La solutions est sans doute amère
Si l’on considère
Qu’on n’sait pas où ça mène
Quelqu’un ici pourrait-il me dire
Quelles sont les raisons qui me poussent ?
{Refrain:}
Et les yeux vers l’ouest
Toujours être ailleurs
Et les mains vers l’est
J’veux toujours être ailleurs !
J’ai la nausée quand je reste assis
Si je suis couché je n’joint pas les « debouts »
Et je souris pour le photographe
Qui va nous figer
Notez mon épitaphe
Notez !
Je me sens si bien hier matin
Que je voudrai être à demain
{au Refrain}
Oh j’ai jamais pu oublier
L’odeur des endroits où j’irai
C’est seulement une question de moeurs
J’veux toujours être ailleurs »
Le passage sur le photographe….sinon juste l’inutilité d’etre là suffira à me remplir…!