[Cet article a été publié le 18 mars à 14h46, date anniversaire, une semaine après le séisme de magnitude 9 du 11 mars 2011]
Petit bilan une semaine après, une semaine qui semble n’avoir duré que le temps d’un battement de cils, tellement il y a eu d’événements, tellement le quotidien a été bouleversé. Paradoxalement, il m’a fallu du temps pour voir que ce quotidien avait été bouleversé me rendant compte après coup que je n’avais pas préparé ceci que je prépare toujours ce jour-là, que au bout de quatre jours, j’avais oublié d’aller ouvrir ma boîte aux lettres, que je n’avais pas pris mon médicament, etc. Un sentiment étrange par rapport à l’ampleur d’un événement qui semble arriver à d’autres.
Ce bilan se développe en suivant plusieurs points, des « répliques » qui ont eu plus d’impact que les actuelles secousses qui ne cessent depuis une semaine. La réplique la plus importante, la plus « impactante » étant la fuite de la communauté française.
Les répliques
Jamais le sol n’a autant bougé. Jamais ! Il bouge de manière permanente. Il bouge tellement qu’on a parfois l’impression qu’il bouge alors qu’il ne bouge pas. Il faut alors fixer un des « repères » dans l’appartement afin de trouver la confirmation de cette psychose quotidienne. Ici c’est la télévision à écran plat ou encore mes petites mirrorballs le long de la longue fenêtre du salon. Chacun de ses objets étant fixé sur un axe de rotation fin, ils se mettent à bouger au moindre frémissement. Au moment où nous sentons une secousse, l’air se fige instantanément, je regarde la télé de côté, Noriko les mirroballs et sans un bruit, sans un souffle, nous calculons dans nos têtes la magnitude sachant qu’une secousse peut en cacher une violente. La télévision, branchée sur NHK, émet un signal typique, tout comme le téléphone portable de Noriko qui, même en mode silencieux, se met à hurler dès que la puissance du tremblement de terre est de 6 ou plus sur l’échelle japonaise. Cela permet de nous préparer quelques secondes avant. La maison a été organisée en points « sûrs » où se précipiter dès que la télévision ou le téléphone retentissent.
Comme les chiffres me fascinent, j’ajoute le nombre de répliques depuis cette fameuse bombe tellurique de magnitude 9. Nous en sommes donc à 488 qui se répartissent ainsi :
11 mars : 79 répliques dont 6 très puissantes (de 14h46 à 00h)
12 mars : 131 répliques dont 5 très puissantes
13 mars : 62 répliques dont 1 très puissante
14 mars : 53 répliques dont 1 très puissante
15 mars : 50 répliques dont 1 très puissante
16 mars : 53 répliques dont 1 très puissante
17 mars : 40 répliques dont aucune très puissante
18 mars : 20 répliques dont aucune très puissante (de 00h à 14h46)
Deuxième chiffre fascinant, celui de la quantité d’énergie libérée. La bombe atomique d’Hiroshima avait libéré 22,3MJ (mégajoule soit 10 puissance 6). Un séisme de magnitude 9 libère 2,0 EJ (exajoule soit 10 puissance 18). On comprend alors un peu mieux qu’un pays puisse être déplacé de plusieurs mètres, qu’un tsunami de 10 mètres soit réveillé.
Les personnes
Le nombre de décès confirmé est monté à 6.405,
le nombre de personnes manquantes est de 10.259 et plus encore pour les personnes bloquées quelque part attendant les secours.
Ces chiffres vont malheureusement grimper encore dans les jours à venir.
Il y a aussi toutes les personnes réfugiées dans des abris, qui n’ont plus de maisons et qui se comptent par milliers.
La centrale nucléaire de Fukushima
Tous les yeux sont rivés sur les opérations de refroidissement des cœurs et les taux de radiation qui s’échappent.
La situation aux portes de la centrale est bien évidemment très préoccupantes et les taux de radiation bien trop élevés. Le périmètre de 30 kilomètres est maintenu et je plains les gens confinés chez eux, qui doivent se protéger coûte que coûte alors qu’il fait froid, qu’il ne faut ni utiliser la ventilation ou les climatiseurs. Espérons qu’ils ont des chauffages au gaz ou au fioul. Il est possible que l’opération de refroidissement puisse prendre plusieurs semaines selon certains. Toutefois, l’électricité a été restaurée dans le réacteur n°3 et est prévue aujourd’hui pour le n°1 et 2 et ce week end pour le n°4, une étape importante vers la réparation des pompes de refroidissement.
Pour Tokyo, si le taux de radiation a beaucoup augmenté le 15 mars, il est redevenu très bas depuis et reste normal.
Les conséquences à moyen terme sont aussi à déterminées car la radiation qui s’est échappé aux alentours va polluer les sols, l’eau et donc rester piégée pendant un certain temps. Quid des denrées de la région.
L’électricité
Sur le moyen terme, c’est la question la plus préoccupante. Si nous avons des informations sur l’état de la centrale de Fukushima ou les taux de radiation, nous n’avons aucune information ou annonce de mesures concrètes sur les besoins en électricité pour les mois à venir. Les magasins ont modifié leurs horaires et leur consommation d’électricité. Ils ouvrent plus tôt et ferment aussi beaucoup plus tôt. Les grands magasins ferment à 17h, le supermarché en face de la maison ouvre une heure plus tôt à 9h et ferme trois heures plus tôt à 20h. La moitié des lampes est éteinte ce qui donne une ambiance étrange et un peu glauque. Mais en réfléchissant un peu, on se rend compte qu’il y a beaucoup trop de lampes allumées partout en général et que nous nous sommes habitués à cette situation.
Tokyo est un gouffre d’électricité et sa consommation se multiplie durant l’été, principalement en raison des climatiseurs. Comment cette situation sera gérée ? Jusqu’à quand devra-t-on subir les coupures d’électricité de trois heures ? Jusqu’à quand les transports en commun devront réduire la circulation des rames à certains moment de la journée ? Quelles sont les quantités dont on dispose ? Rien n’a été annoncé pour le moment.
En attendant, nous faisons toutes les économies que nous pouvons à la maison. Quasiment pas de chauffage, très peu de lumière, rien d’allumer inutilement. En cette période de vague de froid sur le pays, c’est assez dur sans chauffage…
L’économie
Les conséquences économiques sont aussi à évaluer et seront répercutées sur les mois à venir, du même que le coût des travaux pour reconstruire les provinces dévastées.
Certaines industries vont mettre du temps à repartir et vont délocaliser pour maintenir la production.
Le volontariat
Le nombre de personnes qui se mobilisent pour aider les démunis est très impressionnant. Tout le monde veut faire quelque chose et plusieurs dizaines sont partis dégager des lieux, soutenir psychologiquement les gens réfugiés. Sans parler de la Croix rouge qui a envoyé des aides soignants par dizaine. N’étant pas un bénévole entraîné, je ne peux malheureusement être enrôlé par les associations ce qui me frustre au plus haut point et me fait pester, me disant que si j’avais rejoint une association plus tôt, je pourrais faire quelque chose aujourd’hui. Comme je peux, j’aide la communauté internaute avec la quantité d’informations dont on dispose.
La communauté française
Il est de renom désormais au Japon – chez les expatriés comme chez les Japonais – que c’est la première communauté qui a crié au loup. Certes les Suisses et les Allemands aussi mais la France et ses représentants ont été les premiers et les plus actifs dans ce domaine avec pour mot d’ordre : « Partez si vous n’avez pas de raisons particulière de rester sur Tokyo » autrement dit « Partez dès que vous pouvez » car il est bien connu que nous sommes à Tokyo pour le plaisir… Un des premiers messages du conseiller AFE – Thierry Consigny – fut assez alarmant dans son ton, ce qu’il a essayé de compenser par la suite. Trop tard, le mal était fait. J’ai vu mes amis et collègues partir les uns après les autres, recevant chaque jour plusieurs mails annonçant « Je pars, tu restes ? » Bien sûr choqué par cette situation, j’ai été perturbé dans ma décision de rester quoiqu’il arrive, que d’abandonner ma ville ne m’était même pas venu à l’idée. Pour cela, j’ai été attaqué par certains de ces collègues qui eux-mêmes étaient partis se réfugier je ne sais où, à Kyoto, à Kyushu ou même à Okinawa !!! Sans parler de ceux qui ont quitté le territoire. Si je pouvais comprendre certaines personnes avec des familles, je ne pouvais comprendre nos responsables, représentants du ministère des affaires étrangères avec qui je travaille directement. Oui l’ambassadeur est resté, oui le conseiller AFE est resté, oui le directeur de l’institut est resté mais certains de mes responsables directs se sont enfuis, me donnant cette image très forte de rats qui quittent le navire. C’est le plus insupportable pour moi.
Non seulement ce message alarmiste de « Partez » qui s’affiche comme une bonne action à l’égard des compatriotes (sic) est intéressé et électoraliste mais en plus, il est véhiculé par ceux même qui devraient montrer l’exemple, ceux qui devraient garder la tête froide et rester dans le cockpit quoiqu’il se passe alors qu’ils sont à des centaines de kilomètres d’ici. « Courage fuyons ! » est le mot d’ordre que je retiendrai de cette crise qui aura fait ressurgir beaucoup de choses.
Et dans le mail qu’on recevait hier (on en est à 9 !), Thierry Consigny donnant comme prétexte que la Grande-Bretagne et les États-Unis avaient rejoint la position française comme pour se justifier de son action, histoire de se rassurer.
Les médias
La méfiance envers les médias et plus particulièrement la télévision n’est pas nouvelle mais j’ai l’impression d’être pour la première fois concerné par le relai qu’ils font d’un événement. J’ai eu l’extrême mauvaise idée de regarder le 20h de TF1 du 16 mars, honte à moi. Afin de créer du sensationnel et de l’audimat, la télévision a évincé, anéanti la notion de nuance, choisissant des mots forts et puissants pour créer la peur. Que George W. Bush se rassure, il a fait école ! « Panique dans Tokyo », « Supermarchés vides » et j’en passe. Des choses fausses ou annoncées sans distinction de zone, mettant un seul pays dans le même sac. Un véritable scandale qui m’a laissé pantois. Depuis le début de la crise, je suis sur NHK World a qui je fais bien plus confiance, qui relate les annonces officielles a qui ont peut faire confiance ce qui vient d’être confirmé par des responsables du CEA et de l’IRSN.
L’aide financière
Si on ne peut pas aider avec ses petits bras, on peut aider avec son porte-monnaie. La Croix rouge japonaise est sans doute la valeur la plus sûre et cela se passe par ici : Croix rouge japonaise
La nourriture
Le bipède se révèle au grand jour en période de crise. À Tokyo, l’inquiétude générée par le séisme et la situation de la centrale de Fukushima a incité les gens à faire des provisions et à acheter plus de choses qu’ils n’en ont réellement besoin, histoire de se rassurer. Des choses comme les plats instantanés (nouilles), le riz, le pain, les produits laitiers ou l’eau en bouteille mais aussi les piles, le papier toilette ou les couches pour bébés (j’en oublie) ont été très rapidement épuisés. Ce matin, de passage dans mon supermarché, on tend à revenir vers une situation normale car j’ai vu du riz, des produits laitiers, des produits frais. Mais les légumes par exemple n’ont jamais manqué ! La situation n’a jamais été désespérée !
Remerciements
Un très grand remerciement de magnitude 9 pour toutes les personnes qui m’ont soutenu, qui ont été (et sont) présentes depuis le début, qui ont compris mes choix. Vos mails ou commentaires ici même m’ont touché plus que je ne m’y attendais. Le plus étonnant c’est qu’il s’agit de mes amis en France ou ailleurs et très peu des gens présents (sic) au Japon.
Série de liens
Pour terminer, voici une série de liens qui m’ont permis de tenir, d’être informé pendant toute cette semaine afin de croiser et recroiser les informations qui arrivent de partout, des informations souvent erronées ou fabulatrices.
Twitter : via mon compte et des personnes brillantes et déterminées qui sont restées à Tokyo comme @jeansnow @TimeOutToyko @fleepcom @komatchy @iA @lioneltokyo @Matt_Alt
NHK World sur Ustream
Weathernews pour les séismes (en japonais)
Les répliques depuis une semaine (simulation avec Google maps)
La gestion du séisme du 11 mars par six chaînes de télévision (Youtube)
La surveillance du taux de radiation sur Tokyo (en japonais)
Le gros travail de Fleep pour regrouper les données (en anglais)
Un autre papier, un autre point de vue, celui de Lionel Dersot, comme moi, resté à Tokyo
Wouahhh, J’en ai des frissons, ton résumè est édifiant, je te comprend à 100%, j’admire tes mots et ta lucidité, on pense beaucoup à toi, courage mon ami.
Je ne connais pas Noriko Cédric, alors faites gaffe…on doit encore se voir 🙂 Ici ou là-bas. Je comprends ton sentiment d’impuissance de ne pouvoir aider davantage. Je suis fière que tu assumes toujours autant ton choix.
Bigs hugs and take care, it’s a traumatic experience what you’re living in Japan…
xxxx
Laurence
Merci de ta mise au point et de nous tenir informés (j’évite de dire « au courant » vu les restrictions ;o) )…
J’étais pratiquement sûr que tu resterais, mais je crois qu’il faut être expat par choix pour comprendre.
Gil
Bon courage Cédric, c’est Ariane qui m’a donné la reference de ton blog (je trouve qu’on a plus d’infos par les blogs finallement!)
Salut Elinas. Je sais que cela fait quelques temps, mais je te soutiens dans cette crise. Je suis soulagée que tu aies survécu le séisme.
J’ai noté une chaîne de séismes forts ces derniers temps dans le monde (l’Indonésie/Thaïlande en 2004 avec le tsunami, l’Haïti, la Turquie, le Japon…) et je me demande s’il y a un phénomène géologique derrière les séries de séismes intenses et de tsunamis. Ou peut-être que c’est le séisme fort qui a lieu tous les 70 ans au Japon.
Vraiment très intéressant, continue à nous tenir au courant et j’espère bonne continuation à vous.
Je vois que tu es encore plus remonté que moi à propos de l’attitude de nos compatriotes (ceux criant au Loup, et ceux qui ne se retournent même pas pour vérifier…) Moi je n’ai simplement pas compris… Enfin, surtout à Osaka quoi… Bref, ravi de vous savoir en forme Noriko et toi, ainsi que tous ceux que je connais (« Laurent Super Star » -il m’a expliqué, j’en pouvais plus de rire- s’est payé un séjour à Kagoshima du coup… Malin le bougre 😉 )
Entièrement d’accord.
J’ai honte d’être français.
J’espère qu’il y aura des conséquences pour Consigny!
Cédric, bravo pour ton bilan, it’s truly comprehensive and accurate.
I understand and support your decision to stay, 100%, as I have decided the same — better yet, I didn’t even considered the idea of leaving. And there are so many people asking us the same, alarming us with sensational but inaccurate news.
Life must go on. And the best we can do is trying to live our everyday routine.
Things in Tokyo are far from tragic or panicking!
By the way, I was in Shinjuku this afternoon!
Courage, for both of us and for our loved ones!
@Mo2
Merci m’sieur. 🙂
@Laurence
Ca marche miss. On fait gaffe pour une rencontre à trois un de ces jours. 😉
@Gil
Mon cher collègue canadien…
@Mazalaigue
Bonjour Vincent, ça fait longtemps.
@Hitsumei
Salut la miss. Oh oui, ça bouge beaucoup mais je ne sais pas si on peut parler d’une activité sismique particulière. Il faudrait vérifier.
@Réginald
Merci 😉
@Niwatori
Et encore, je me suis mordu la langue… mais j’ai pas mal de choses sur le coeur vis-à-vis de certaines personnes…
@Benoa
Bonjour m’sieur. La vidéo du tour de Shinjuku dans ta grosse voiture m’a bien amusé.
@Milly
Hey you!
I’m glad to see you’re ok too and in such a good spirit. This will be one of our remembrance of our stay in Japan. 🙂
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Le 18 Mars, nous quittions le Japon, avec ma fiancée Japonaise, sous la réprobation générale même de nos proches (à son égard, moi, « gaijin », peu importait mon choix).
Une semaine avec les valises prêtes dans l’entrée, les manteaux accrochés à la porte, à regarder les bouteilles d’eau pour vérifier que l’immeuble tangait, à sursauter à l’alarme de l’Iphone, à nous regarder puis à enfiler nos chaussures au moins une fois par jour quand une réplique paraissait plus forte ou plus longue que les autres …
Une semaine déchirés entre les nouvelles alarmantes venues de France et le ronron euphémisant des télés Japonaises, qui finissait par « avouer » avec 3/4 jours de retard ce qu’on savait ailleurs, déchirés entre le devoir de solidarité et la peur de gacher bétement nos vie, entre la culpabilité de trahir et la nécessité de protéger nos vies au-delà des pesantes conventions sociales, une semaine avec une épée de Damocles nuicléaire.
Une semaine que nous n’oublierons jamais …
Que vive le Japon !