▲ 4 mai – ?, 50aine, sushiya – Ushigome
Précisément pour le vif de la situation, je l’ai abordé. Son nez dans son téléphone portable, ses lunettes sur le crâne, son sachet plastique de courses, sa dégaine… il était parfait ! À l’inverse, précisément parce qu’il ne se pensait pas présentable, il refusa. J’ai dû insister, lui montrer que je n’avais pas de mauvaises intentions pour qu’il finisse par accepter. Dans cette arrière rue d’Ushigome, nous nous sommes croisés à l’angle de sa microscopique rue. Il n’y a que des maisons dans le coin et je me doutais donc qu’il rentrait chez lui, d’autant plus qu’il avait fait quelques achats. Il me confirma qu’il ne travaillait pas ce jour-là, qu’il se reposait et passait une journée tranquille. L’évocation de son métier me permit de comprendre sa gouaille, son entrain. Il avait l’habitude de parler aux gens, aux inconnus, cela ne faisait aucun doute. Il avait aussi du répondant et la discussion fut plutôt sympathique.
L’homme est originaire de Katsura dans la province de Wakayama. Il habite à Tokyo depuis 40 ans.
▲ 4 mai – Okibashi san & Hideyuki, 58 & 17 ans, garagiste – Ushigome
Un rencontre étonnante. Je passais en vélo un peu rapidement et je me suis arrêté aussi vite que j’ai pu lorsque j’ai aperçu cette crinière blanche cerclé d’un ruban aux allures amérindiennes. J’étais le seul qui se soit arrêté pour lui mais tout un tas de gens arrivèrent en même pour entrer dans l’immeuble derrière lui, un camion qui tentait de se garer tout en voulant laisser passer une voiture qui était à l’arrière… mon vélo sur le bas côté. Le moment tombait mal et il permit tout autant d’amuser tout le monde. Okibashi san disparut tout d’abord pour montrer quelque chose aux personnes qui étaient arrivées. J’ai cru que j’avais raté ma chance. Je demandais à un homme qui attendait s’il y avait un événement spécial, si l’homme à la crinière blanche allait revenir et il me fit signe d’attendre.
Revenu et me voyant toujours là, Okibashi san m’apostropha comme s’il avait cherché cette rencontre. Il vit mon appareil et dans de grands cris me demanda de l’inspecter. J’avais rarement vu une telle audace. Il prit l’appareil dans ses mains, l’alluma et le manipulait comme un connaisseur. Okibashi san est un réparateur de vélos mais il adore la photographie et possède plusieurs boîtiers chez lui, certains assez anciens dont un M1… Il soupesait l’appareil et tout en discutant, mit la bandoulière autour du cou. L’appareil était à lui ! J’étais amusé non sans une certain inquiétude devant un tel toupet. Il faut dire que cela correspondait bien à la personnalité de l’homme, légèrement extravagant et qui s’exprimait à coups de voix sonore qui résonnaient dans cette petite rue tranquille d’Ushigome. Il avait étudié la photographie mais n’avait pas terminé ses études dans le domaine. Dans une modestie bruyante et revendiquée, Okibashi san se considère comme stupide et sans aucune capacité intellectuelle ce qui l’a fait abandonner ses études. Il était donc ravi de discuter avec moi sur le sujet, de manipuler un « bel appareil ».
Il passait son temps à m’appeler « mister » sans que je sache très bien pourquoi. Cela avait le mérite d’être original. Il avait ouvert son magasin 40 ans plus tôt. Les affaires allaient un peu mieux récemment mais il sortait d’une période difficile comme beaucoup de magasins de quartiers. Il est né dans le quartier de Chuo.
Alors qu’il parlait, sa voix est montée encore un peu plus pour interpeller sa femme et son fils qui arrivaient. J’en profitais pour m’extirper un peu de sa toile verbale et faire enfin mon portrait. Son fils se précipita contre son père pour être sur la photo et repartit aussi vite une fois que j’avais terminé. Étonnant. C’est donc son père qui m’en parla juste après. En continuant ma promenade par la suite, je croisais à nouveau sa femme et son fils.
▲ 12 mai – Asuka, Akuro & Ruki, âge ?, profession ? – Tokyo dome
Cela faisait un moment que je n’étais pas tombé sur un regroupement de cosplay à Suidobashi – Tokyo dome. Bien qu’il y en ait tous les mois, les quatre ou cinq fois où j’avais essayé ces six derniers mois, j’étais mal tombé. Là, je passais sans en chercher et tombais dessus. Je m’enfonçai dans la cour centrale du complexe pour aller à la recherche des quelques exemplaires intéressants. Dans ce monde de déguisement, la couche de maquillage et de costume permet de fuir mes questions qui sont refusées d’un geste de la main. Rien de bien méchant mais catégorique. Il faut dire qu’en choisissant des caractères d’un monde proche de la Rose de Versailles, je courrais vers le mur en toute connaissance de cause. Je leur demandais donc de m’expliquer d’où venait leur personnage. Je ne connaissais bien évidemment pas. Il y avait d’abord eu le manga, puis l’anime et la comédie musicale allait sortir. Ils font cela une fois par mois et changent de costume à chaque fois. J’étais fasciné. Non seulement cela devait leur coûter de l’argent mais surtout il fallait de l’espace.
▲ 12 mai – Kashi, 28, photographe – Tokyo dome
Pour Kashi, si je ne pus obtenir son âge, elle me donna son métier. Il faut dire que cela nous rapprochait et qui lui avait suffi de dire : « Moi aussi ». Elle faisait la queue et je profitais de la stagnation pour lui demander son portrait. Elle accepta volontiers à condition de se mettre dans sa position favorite, la position adaptée au personnage. Il s’agissait d’un jeu vidéo que je ne connaissais absolument pas non plus. Elle était avec deux amis qui portaient des choses similaires, appartenant au même monde de ce jeu. Kashi travaille dans une entreprise qui place son personnel selon les commandes. Elle fait principalement de la presse en ce moment.
▲ 12 mai – Akiko, 41, comptable – Tokyo dome
Là évidemment, je connaissais. Comme souvent, je pensais avoir fini mais en voyant ce groupe d’amis habillés à la Dragonball, je suis resté un peu plus. Je les observais de loin car ils venaient de se retrouver. Je mourrais d’envie de prendre Akiko en photo et j’attendais qu’ils se calment un peu pour l’approcher, pour ne pas trop la déranger. Comme cela n’arrivait pas, je fendais le groupe en m’excusant. Akiko pensa d’abord que je voulais prendre tout le monde mais je déclinais la proposition car c’était bien elle qui m’intéressait.
Elle me demanda si je connaissais son personnage et je lui répondis avec un grand sourire que c’était le seul que j’avais reconnu jusqu’à présent. Il y avait une chaleur qui se dégageait d’elle et il était très facile de discuter avec elle. Très souriante, elle était très contente que je m’intéresse à son personnage et que je veuille faire son portrait. Elle fait cela six fois par an environ. La moitié par rapport aux autres que j’avais pris en photo… tout de même six fois. Elle allait dans plusieurs endroits et son grand plaisir était de retrouver ses amis et ce monde qui partageaient la même passion.
Lorsqu’elle m’avoua son travail, – comptable -, je me demandais si quelqu’un pouvait être au courant dans son entreprise. En secouant la tête, sans quitter son grand sourire, elle s’écria que non, que ce n’était pas possible et que personne ne comprendrait. Alors lorsqu’elle m’avoua son âge, je faillis tomber à la renverse. Moi qui ne voyais que des gens d’une vingtaine d’années, j’avais un spécimen rare qui en faisait le double. Cri de joie lorsqu’elle comprit que j’avais le même âge. Akiko m’expliqua qu’elle n’était pas la seule de cette tranche d’âge mais que tout de même, ils étaient très peu nombreux. J’admirais son dynamisme et sa joie de vivre.
▲ 19 mai – Megumi & Kaito, 30 & 1, mère au foyer – parc Yoyogi
Dans le parc de Yoyogi, durant le printemps, il y a des événements thématiques tous les week-ends. Beaucoup sont liés à des pays : Thaïlande, Brésil, Mexique… Un de ceux qui m’a le plus marqué est celui autour de la Jamaïque. Si je m’attendais à une ambiance baba cool affichée, je n’aurais pas cru que ce serait aussi caricatural. Le plus amusant était de voir tous ces japonais habillés pour la circonstance. Comme c’était une première pour moi, je ne pouvais m’empêcher de sourire devant cette frénésie pour une philosophie, une musique car bien entendu, il y avait du reggae partout. L’ambiance était excellente et tout le monde détendu. Peu après mon arrivée, je remarquai Megumi avec son fils. Elle et son groupe m’accueillirent comme un vieil ami, comme si cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus. Nouvel élément, j’étais le centre d’intérêt de tous et cela faisait plaisir.
Pour Megumi, c’était un jour spécial. Son fils était suffisamment grand pour qu’elle n’allaite plus, pour qu’il puisse sortir et participer à un tel événement. Cela faisait donc bien longtemps qu’elle n’était pas venue, qu’elle avait fait la fête et surtout qu’elle pouvait boire. Elle n’avait bu qu’un demi-verre de bière mais après un tel sevrage, la tête lui tournait déjà et elle commençait à rougir. Par dessus cela, j’arrivais et lui demandais son portrait. Quelle journée pour Megumi, quelle journée ! Elle me présenta aussi son mari qui partit aussitôt sur le musique house sans que je fasse très bien le lien. En plein festival de la Jamaïque, la house me paraissait un univers bien lointain. C’était en fait à l’évocation de ma nationalité car il avait beaucoup de respect pour les producteurs ou djs français. Lui-même mixait de temps en temps et avait vu l’un d’eux peu de temps auparavant. Ils habitaient à Tokyo mais Megumi venait de Kanagawa.
▲ 19 mai – Shoko & Naoko, 32 & 23, assurance et chômage – parc Yoyogi
Je remarquais surtout Shoko par sa taille, son visage, ses vêtements et son châle aux couleurs psychédéliques. Elle faisait les stands derrière elle pour voir ce qui se vendait. Elle y retournerait après la photo d’ailleurs parce qu’elle n’avait pas encore trouvé ce qu’elle cherchait. Du coup, je n’avais pas remarqué Naoko tout de suite. Beaucoup plus petite, elle avait dû être cachée par un alignement de vêtements ou autre. La seconde rejoignit la première alors que je m’avançais pour faire ma demande.
Elles étaient donc venues ensemble pour se promener, faire des achats, manger quelques trucs et écouter de la musique. Naoko était déjà venue plusieurs fois et avait donc proposé à Shoko de venir avec elle car elle ne connaissait pas. Elle était aussi fan de reggae.
▲ 19 mai – Nobu, Akira & Chie, 37 & 10 ans, chauffeur et cuisinière – parc Yoyogi
Une famille complète. C’était parfait. Habillée pour la circonstance. Je triais les portraits déjà pris sur mon appareil photo, je me trouvais juste à côté d’un stand qui vendait des sortes de nattes de tissus colorées. Nobu était venu un peu plus tôt dans la journée pour passer une commande et venait la récupérer. Ils sont donc passés devant moi et sans réfléchir, instinctivement, j’ai tendu la main, la bouche ouverte avant de pouvoir prononcer un son… Ils étaient tous les trois extrêmement contents de ma demande. Un portrait de la famille habillée comme elle aimait. Ils adoraient s’habiller ainsi et le faisaient dès qu’ils le pouvaient. Alors pour un tel événement ! Toute la semaine, ils étaient habillés comme tout le monde, quand ce n’était pas en uniforme pour Akira. Cela semblait tellement naturel de les voir ainsi que j’avais du mal à les imaginer autrement. Chez eux, l’intérieur allait un peu dans ce sens mais ils écoutaient surtout tout le temps du reggae et Akira adorait aussi. La rébellion contre les parents, ne pas faire comme eux… pas question ! Elle les remerciait de lui avoir ouvert ce monde. La cohésion qui régnait entre eux faisait plaisir à voir, faisait envie.
C’était la première fois qu’ils venaient à ce festival et ils venaient de loin pour cela. Ils étaient tous les trois d’Ibaraki. Ils étaient ravis de l’ambiance, des concerts un peu partout et me disaient qu’ils reviendraient l’année suivante. Nobu est conducteur d’un peu de tout sauf des très gros poids lourds. Chie est cuisinière et travaille à mi-temps. Nous nous sommes très bien entendus.