Au mois de janvier, on n’échappe pas à 成人式 (seijin shiki) la fête de la majorité ! Ça fait 12 ans que je ne rate (presque) pas ce moment. Je vais (presque) toujours au même endroit, soit l’entrée du jardin du sanctuaire de Meiji.
▲ Aya & Shiho, 20, étudiantes – sanctuaire de Meiji
Toutes timides, toutes crispées, Aya et Shiho attendaient la voiture qui venait les récupérer. Les parents de l’une ou de l’autre. Il m’a fallu faire le zouave deux fois plus que d’habitude pour arriver à leur voler un semblant de sourire. Shiho était même méfiante lorsque je suis allé les voir.
Elles étaient légèrement à l’écart ce qui a, il me semble, rendu la photographie possible. Au milieu de la foule, avec les autres personnes qui viennent se mettre à mes côtés pour profiter de l’opportunité à chaque fois, Shiho aurait probablement dit non. Sous les arbres, sur le bas côté de la route, j’ai pu saisir ce moment car il n’y avait pas de véhicule qui arrivait. Je n’ai d’ailleurs pas vu leur famille.
Aya est en histoire de l’art et Shiho en littérature anglo-saxonne. Elles ne vont pas dans la même université mais sont amies depuis le collège car voisines et se voient donc souvent. Elles tenaient à célébrer ce jour important ensembles plutôt qu’avec les membres de l’université. Elles n’avaient pas pu échapper à la cérémonie matutinale puis étaient venues par la suite au sanctuaire pour prier avec leurs parents. La fatigue se lisait dans leurs yeux et elles attendaient la voiture avec impatience. Rentrer, se changer, se poser, elles ne pensaient qu’à cela. Pour le soir, au moment de la discussion, rien n’était encore organisé. Elles verraient comment les choses se feraient et elles sortiraient si l’envie venait.
Elles m’ont tout de même remercié quand je les ai saluées et elles m’ont lancé chacune un sourire comme pour me dire que si elles avaient hésité au départ, elles étaient contentes de la discussion, de ce petit moment, que je me sois un tant soit peu intéressé à elles plutôt que de leur voler un cliché.
▲ Miho, 20, étudiante – sanctuaire de Meiji
Miho, elle, était seule… mais pour quelque temps seulement. D’abord parce que je me suis trouvé avec elle et ensuite parce que son petit ami arrivait.
Elle attendait sur cette esplanade devant la grande torii en bois non peint où défile chaque jour des milliers de personnes. Il y avait les bénévoles qui lançaient des appels aux dons du sang de tous les côtés entre ceux plutôt âgés derrière elle et le plus jeune, de l’autre côté de la route qui permet aux voitures de traverser le parc du temple de Meiji. La discussion s’en trouvait quelque peu perturbée et il m’arrivait d’avoir du mal à l’entendre par moment.
Miho se tenait là, devant la route, le regard au loin, scrutant la foule. La frénésie autour n’en paraissait que plus intense face à son flegme. Mes premiers mots la sortirent de sa concentration mais elle me lança un sourire discret et poli à son image : posée et délicate.
Miho attendait donc son petit ami qui sortait du train, de la station de Harajuku et marchait vers elle. À cette annonce, je décidais de rester avec elle pour le saluer, pour le rencontrer. Il y eut bien son appel pendant que nous discutions où elle lui expliqua où elle se trouvait mais surtout comment sortir de la gare et arriver jusqu’à elle, ce qui me surprit davantage.
Miho est étudiante en droit. Mon admiration l’étonna. Comme tout Japonais face à un compliment, elle le rejeta et déclara qu’elle ne comprenait rien, que c’était très difficile, qu’elle doutait d’y parvenir… Elle étudiait à Kanagawa ce qui me semblait bien loin de là où nous étions. Il y a des sanctuaires tout aussi connus pour ce jour sur place. Miho vit en fait seule sur place pour habiter à côté du campus alors que sa famille vit à Roppongi. Je comprenais d’un coup ses manières polies, sa façon posée de s’exprimer. Elle aimait beaucoup vivre seule, elle appréciait son indépendance.
Le petit ami arriva alors que Miho m’expliquait pourquoi elle lui avait indiqué comment sortir. Il débarquait à Harajuku pour la première fois ce qui ne manqua pas de piquer ma curiosité. Le jeune homme vient de Yamanashi d’où il arrivait. Il avait pris le shikansen juste avant de prendre le métro pour la rejoindre. Il était venu spécialement pour cela, pour retrouver Miho en ce jour de célébration. Sauf que lui aussi avait 20 ans et célébrait l’événement. Le matin même, dans sa ville natale, il avait participé à la cérémonie organisée par la mairie puis s’était éclipsé rapidement pour rejoindre Tokyo et Miho pour le reste de la journée.
Tous les deux allaient au sanctuaire puis seraient rejoints par les parents de Miho avant de rentrer à Roppongi et faire la fête tous ensembles.
Il arriva sans vraiment montrer d’étonnement à ma vue en compagnie de sa petite amie et écouta son explication avec attention.
Je réussis tout de même à lui tirer une mimique quand je lui demandais comment il trouvait l’endroit : « Il y a vraiment trop de monde ! » me lança-t-il.
▲ Hikaru & Kaori, 20, étudiantes – sanctuaire de Meiji
Je pensais avoir rencontré suffisamment de personnes pour ce jour de la majorité, je me dirigeais vers mon vélo lorsque j’aperçus Hikaru et Kaori tout sourire, une gaieté qui, je pense, ne les avait pas quitté depuis qu’elles étaient sorties de chez elles ce matin-là, sans doute même depuis qu’elles avaient enfilé leur kimono qui marquait le début de cette belle journée qui leur était consacrée. Des sourires et des visages que je n’avais pas encore pris en photo après Aya et Shiho un peu trop fatiguées pour être détendues et Miho juste avant, trop discrète (polie) pour afficher de manière trop évidente ses sentiments sur son visage.
Hikaru et Kaori profitaient pleinement de chaque instant et ma demande de portrait n’était qu’un de ses éléments dans l’ordre des choses, une de ces surprises qui ponctuaient une fête exceptionnelle. Je m’arrêtais donc dans mon élan pour discuter avec elles, pour saisir leurs visages radieux.
Les deux amies sortaient du sanctuaire et comme moi se dirigeaient non pas vers leur vélo mais la gare pour rentrer chez elles. D’abord se changer, retrouver les parents puis s’organiser pour la soirée.
Hikaru est étudiante en histoire et Kaori en théologie, un sujet de discussion que j’aurais aimé aborder mais qui ne se prêtait pas vraiment au moment, à l’événement.
▲ Yohei, 35, artiste et jardinier – Tokyo opera city
Hiraki Sawa avait terminé son discours, nous avions fait le tour de l’exposition qui présentait différentes installations du vidéaste et la plupart des invités errait dans le hall, soit en se servant au buffet, soit en discutant avec les compagnons retrouvés sur place ou qui les avaient accompagnés.
Yohei m’a sauté aux yeux avec sa dégaine, sa petite taille, sa tenue et son bonnet qu’il ne quittait pas comme s’il neigeait à l’intérieur. Contrairement aux couleurs qu’il portait, il était discret voire timide. Cela me surprit car je ne m’attendais pas à une personnalité si introvertie non seulement en le voyant, en l’observant avec ses amis mais aussi par rapport au lieu où nous nous trouvions qui compte son lot de spécimens extravertis voire bruyants.
Ainsi, je compris aussitôt qu’une discussion serait nécessaire, que seule une approche douce et graduelle fonctionnerait. D’ailleurs, lorsque je lui fis ma demande de portrait, il manqua de s’étouffer avec le canapé qu’il ingurgitait. Pendant la pause, il dansait d’un pied sur l’autre devant l’objectif ce qui rendit le cliché particulièrement complexe en raison du manque de luminosité de l’endroit. Il fallut s’y reprendre à plus de dix prises ce qui ne m’arrive jamais. Soit il bougeait, soit il regardait ailleurs. Mes tentatives pour le détendre n’aboutissaient pas. Yohei est maladivement timide.
Il n’avait pas non plus vraiment l’habitude de ce genre d’événements comme les vernissages ce qui faisait beaucoup à gérer d’un coup pour lui. L’homme habite à Kamakura, était venu spécialement pour l’occasion et se retrouvait sur Tokyo qu’en de rares occasions. Il était venu avec des amis – impossible autrement – pour l’ouverture de la seconde exposition, celle à l’étage comme le fait systématiquement la galerie de Tokyo opera city. Yohei insista cependant pour que je m’y rende, pour que j’admire le travail de cette amie qu’il appréciait beaucoup. Si je ne m’enthousiasmais pas plus que cela pour ses compositions – sauf celle avec les gommes à mâcher épinglées à même le mur -, au moins, je préférais au travail de Hiraki Sawa dont les vidéos me laissaient perplexe.
Yohei venait donc exprès pour le vernissage depuis Kamakura et repartait le soir même. Il restait principalement dans sa ville car il ne roulait pas sur l’or et les déplacements coûtaient trop chers d’une manière générale. Il m’annonça tout d’abord qu’il était artiste sans que comprenne très bien sa spécialité. Sans doute faisait-il des sculptures avec des morceaux de bois. Il ajouta d’ailleurs rapidement qu’il était aussi jardinier car il en avait besoin pour se nourrir. Il taillait les arbres et travaillait dans les jardins des particuliers mais aussi souvent dans les temples ou sanctuaires. Yohei ne comprit pas mon admiration pour cette capacité à tailler les arbres de manière harmonieuse. À l’écouter, son métier n’avait aucun intérêt et tout le monde en était capable.
Il est né à Fukuoka et comme à mon habitude, je ne manquai pas de signaler mon amour pour l’île de Kyushu. Gêné, il m’interrompit au bout de quelques minutes après mes descriptions de Sakurajima, de Takachiho pour dire qu’il ne connaissait pas… Gêné à mon tour, je suis revenu sur Fukuoka que j’ai bien apprécié et la discussion est partie sur la circulation. Comme il savait que je me déplaçais en vélo, Yohei me dit que c’était dangereux d’en faire dans sa ville natale car les habitants conduisaient n’importe comment. « Ils sont fous ! » cria-t-il. Sauf que je n’avouais pas que je étais parisien, que j’ai conduit au Vietnam ou au Cambodge et que le Japon est une piste pour très grands débutants concernant la conduite.
Je me suis rendu compte que nous avions discuté bien plus longtemps que je ne l’aurais imaginé. Du coup, il m’annonça qu’il devait peut-être retourner voir ses amis et nous nous sommes quittés.
▲ Mari & Mana – 32 & 1 an et 9 mois, mère au foyer – Gaienmae
Pour terminer la série de janvier, je souhaitais absolument avoir une femme avec son enfant. Je ne sais pas très bien pourquoi même aujourd’hui. Une des raisons principales devaient être que je n’en ai pas beaucoup sur le total. Il m’a fallu du temps et j’ai arpenté les rues entre Omotesando et Gaienmae avant de pouvoir trouver. Pourtant, lorsque j’ai aperçu Mari et Mana dans cette petite rue perpendiculaire au dernier moment et que j’ai fait demi-tour pour aller à leur rencontre, Mari m’a lancé un « Bien sûr ! » comme si tout était normal, que cela ne posait aucun problème, au contraire. Une candeur qui m’a fait plaisir et qui m’a réchauffé le cœur dans le froid ambiant du mois de janvier.
Elles allaient faire des courses au supermarché et sortaient tout juste de chez elles. Mari m’a désigné l’immeuble blanc derrière elle pour m’indiquer d’où elles venaient et où elles habitaient. Ils y vivaient à trois avec son mari et père de Mana. Lui était dans la programmation et travaillait apparemment beaucoup dans l’élaboration de sites. Comme nous étions en semaine, il était au bureau. Mari était infirmière mais avait cessé de son métier depuis que Mana était née, deux ans auparavant. Pour le moment, ce nouveau travail à plein temps de maman lui plaisait énormément et ne regrettait pas l’ancien. Cependant, elle ne s’interdisait pas la possibilité d’y retourner à l’avenir mais rien n’était décidé pour le moment. Mari me parla éventuellement d’un second enfant avant de s’y remettre. En même temps, comme Mana était encore dépendante, elle souhaitait s’y consacrer avant le suivant.
Mari montrait un réel intérêt pour mon travail et insista pour prendre le temps de le regarder chez elle via son ordinateur. J’étais bien embêté lorsque j’ouvrai mon sac pour y constater que j’avais oublié mes cartes de visite… Je gribouillais honteusement et tant bien que mal mon nom sur un reçu de caisse enregistreuse en lui disant que l’espion Google lui donnerait toutes les informations pour me retrouver. J’ignore si elle l’a fait et je le regrette car j’aurais vraiment aimé lui envoyer leur portrait, comme je le fais systématiquement quand les gens me contactent.
Mana est restée stoïque tout du long de la discussion. L’enfant est très calme et Mari me rassura en me disant qu’il en était toujours ainsi, que c’était un amour et une enfant très facile. Si elle ne parla pas, elle me fit tout de même un petit geste de la main pour me saluer lorsque je pris congé. Adorable.
Elles sont toutes les deux originaires de Tokyo.