▲ Marisa, 34, photographe – Ginza
Sa première exposition solo. Dans l’annexe du musée Pola. À 34 ans. Marisa était certes fière mais elle ne le montrait pas. Au contraire. Quand on lui demandait, elle répondait par un sourire gêné de reconnaître que cela l’impressionnait, même après deux semaines. Elle ne le montrait pas car elle était cachée du côté de la loge, derrière le bureau de l’accueil, dans un coin sombre de la galerie. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une employée de l’endroit. De plus, quand je me suis adressé à l’hôtesse pour lui demander des informations à propos de l’artiste, elle a tendu le bras pour la désigner et me proposer de lui poser mes questions directement.
– Ah bon ? Vous… vous êtes l’artiste ?
La conversation a commencé avec une question très simple sur le lieu de la prise de vue d’un des clichés. J’avais reconnu mais souhaitais m’en assurer. Marisa confirma et la discussion partit. D’abord en japonais puis en anglais. Comme elle a étudié à New York et à San Francisco, elle n’a aucun problème avec la langue de Shakespeare. Elle s’est rendue aux États-Unis avec le travail de son père lorsqu’elle était enfant et ensuite bien plus tard, pour y faire ses études.
Nous avons aussi parlé de ses tirages pour l’exposition, sous une plaque d’acrylique. Une technique qui donne des couleurs intenses et contrastées, un rêve en ce qui me concerne pour une exposition personnelle. Marisa aimait beaucoup aussi. Ses photo sont comme des morceaux du quotidien, avec des couleurs pastels et des dominantes bleues. Il y avait quelque chose de Rinko Kawauchi mais je n’ai pas articulé ma comparaison à haute voix, ne sachant si Marisa apprécierait ou si on lui avait déjà dit des centaines de fois…
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▲ Fumiyu & Nobuyasu, 23 & 28, étudiant et garagiste – Shibuya
Ils ne détonnaient pas de l’environnement. Cela me poussa d’ailleurs à les attendre devant le magasin où je les avais aperçus, un magasin tout aussi dans le style jeune de ce quartier sur l’avenue Meiji, entre Harajuku et Shibuya.
– Nous prendre en photo ? Ouais allez ! C’est parti !
Ils ont d’abord commencé à faire les pitres, trop contents que je m’intéresse à eux. Dès le départ, l’ambiance était excellente. Nous nous amusions. Quand ils m’ont expliqué qu’ils venaient d’Osaka, l’ambiance est montée d’un cran. Il ne s’agissait pas d’expatriés de la région centrale du Japon mais bien de réels spécimens qui se trouvaient à Tokyo pour le week-end. Ils étaient venus en voiture, avec celle de Nobuyasu. Le fait qu’ils aiment l’un et l’autre les auto parut aussitôt évident. Nobuyasu en avait d’ailleurs deux. Une Skyline GTR et un pickup Toyota fabriqué aux États-Unis. Deux engins qu’il bichonnait lui-même. Il faut dire qu’il avait le meilleur métier du monde pour cela. Fumiyu se moquait gentiment de son ami car il n’avait que des véhicules d’un certain âge mais il ne soulignait que son envie d’avoir la sienne aussi. Ils rentraient le jour-même, avec un départ en début de soirée.
Ils aimaient beaucoup Tokyo. La veille, ils avaient vu Skytree pour la première fois. Ils étaient en fait venus à trois. Le troisième larron visitait Disneyland… Fimuyu et Nobuyasu n’avait que faire de ce parc d’attraction et le groupe s’était donc séparé pour la journée. Ils faisaient tous les deux les magasins sans grande conviction. Rien de spécial à acheter mais si éventuellement, quelque chose leur plaisait, ils l’essaieraient. Dans ce magasin qu’ils venaient de visiter, rien.
Comme nous avons parlé de la France, ils m’expliquèrent qu’ils n’avaient voyagé qu’à Guam et Hawaï pour le moment.
▲ Hiromi & Takuya, 24 & 26, mode – Yoyogi
Dans l’ambiance et la foule de la fête du Brésil à Yoyogi, j’ai d’abord remarqué ce couple étonnant dans la queue d’une échoppe pour acheter des cocktails. Une fois les boissons acquises, alors qu’ils se dirigeaient vers moi, Takuya a fait une grimace pas possible en sirotant sa boisson.
– C’est quoi ce truc ?! C’est ultra sucré ! Beurk !
Déçu était un faible mot. Faire la queue pour ça… la galère ! Hiromi elle était ravie. Elle buvait ce qu’elle voulait et en profitait.
– Moi, c’est un jus de coco !
– Ce machin là, c’est un caipirinha mais y a trop de trucs dedans !
Nous avons un peu marché ensemble, au milieu des centaines de personnes, pour nous mettre devant la scène d’où émanait une musique tonitruante qui rendait mes indications inaudibles. Hiromi posait avec cette façon des personnes habituées aux objectifs. Cela sautait aux yeux. Elle savait prendre des pauses. Lorsqu’elle me montra son air coquin qui ne m’avait pas échappé au moment de sa satisfaction devant le choix de sa boisson, j’ai pris la photographie. Elle portait des chaussures qui la grandissaient de 15 centimètres, ce qui faisait d’elle une femme assez petite somme toute.
Arrivés d’Ibaraki le matin, ils se trouvaient à Tokyo pour cette fête du Brésil.
▲ Yuki, Miyabi & Konomi, 21, 10 & 23, étudiants – Nezu
S’il suffisait d’observer leurs mains blanchies par diverses matières pour comprendre qu’il s’agissait d’artistes, la sculpture qu’ils portaient ensemble, entre eux deux permettait de s’en assurer. Ils sortaient de leur atelier, cela ne faisait aucun doute. Comment ne pas demander un portrait alors ? Surtout avec la petite Miyabi faite de papier de verre, une matière qui les faisait s’arrêter souvent pour essayer d’enlever les échardes qui pénétraient leur chair. Une matière que je devinais et que je voulus toucher pour la reconnaître. D’une voix, Yuki et Konomi m’ont défendu de le faire, pour que je ne me retrouve pas comme eux, les mains pleines de microscopiques aiguilles transparentes.
Ils se rendaient chez Yuki pour entreposer Miyabi. L’université fermerait pendant les vacances d’été et Konomi souhaitait terminer son projet d’études. Le plus pratique était donc la maison de son ami Yuki. L’université d’art de Tokyo réside dans ce quartier du nord que j’adore et où je viens régulièrement pour me promener. Yuki habite dans une chambre à côté parce qu’il vient de Hiroshima et réside dans la capitale pour ses études. Konomi elle vient de Kanagawa. Certes, le trajet en train prend du temps mais elle n’a pas besoin d’un logement à proximité pour autant. Miyabi étant intransportable dans le métropolitain ou le train, chez Yuki constituait la meilleure solution.
À ma façon de prononcer le mot « sculpture », Konomi comprit que j’étais français ! Chapeau ! Il faut dire qu’elle avait visité le pays en février et tout était bien frais dans sa mémoire. L’architecture l’a frappée le plus. Elle avait vraiment apprécié les bâtiments. Nous discutâmes d’ailleurs de la politique de protection des bâtiments en Europe, une chose qu’elle souhaitait voir plus appliquée au Japon, tout comme moi.