C’est la journée grands-parents maternels!
Je me lève tôt car j’ai l’intention d’arriver chez eux pour le petit déjeuner avec le pain et les croissants. Merde je suis à Paris quoi! Je mange des croissants frais le matin!
Lors de la préparation de mon voyage, j’ai décidé de passer une journée entière avec chacune de mes grands-mères. Une journée entière pour que je les vois, pour qu’elles profitent de moi. Je ne les vois que trop peu – c’est la troisième fois en 6 ans… – et il est important selon moi que je leur consacre au moins une journée entière. Ce qui n’est pas grand chose en réalité. De plus, je suis assez inquiet de leur santé depuis 2 ans. Les 80 années étant dépassées, la fatigue commence à s’accumuler de manière importante. Mon grand-père, ayant fait une attaque cardiaque dont il a réchappé, est beaucoup moins dynamique qu’auparavant. Il a pris conscience de la faiblesse de son corps et a vieilli d’un coup. Ma grand-mère, ayant aussi eu une attaque – mais cérébrale – doit faire attention. De plus, Alzheimer commence à grignoter son cerveau. Les deux sont-elles liées? La première a-t-elle déclenché la seconde? Enfin, ma grand-mère paternelle – qui vit seule – a de graves problèmes d’arthrose et se déplace avec beaucoup de difficultés. J’ai très peur d’une chute, d’une fracture du fémur – classique chez les personnes de cet âge – et d’une hospitalisation qui la déprimerait. J’ai ainsi perdu mon arrière grand-mère, il y a environ 15 ans, décédée suite à son hospitalisation, après s’être cassée le fémur… Le choc psychologique ayant accompli son action dévastatrice. 😥
Ils m’accueillent à bras ouverts et en robe de chambre, tout juste réveillés en ce mercredi frais du début automnal. Il est environ 9h. J’ai acheté le ravitaillement juste à côté de chez eux. L’expérience de la boulangerie est assez éprouvante. Tout est magnifiquement présenté et ne demande qu’à être dégusté… les tentations alimentaires sont fortes dans ce pays… 😉
Je m’apprête à découvrir le quotidien de mes grands-parents. Je m’immisce dans leurs activités journalières tout du long. J’ai d’ailleurs l’impression de découvrir leurs habitudes. Passe-t-on souvent une journée entière dans le quotidien de ses grands-parents? En vacances, oui. En famille, oui. Mais une journée comme celle-ci? J’ai le sentiment que c’est la première fois. L’un et l’autre s’activent dans des coins différents de l’appartement. Je suis soulagé de m’apercevoir qu’ils ne passent pas leurs journées devant le petit écran lobotomiseur. Apparemment, leurs intérêts se concentrent sur une émission médicale de l’après-midi (que nous ne regarderons pas), le JT du soir et le film ou téléfilm qui suit.
Le repas matutinal avalé, ma grand-mère me propose d’aller faire les courses ensemble pour les cérémonies alimentaires de la mi- et fin de journée. Mon grand-père file aussitôt dans son bureau, dans ses archives. L’homme est dans ses papiers depuis sa retraite, quasiment depuis que je le connais.
Lavés, savonnés, parfumés, habillés, ma grand-mère et moi sortons faire nos achats. J’ai toujours autant de mal avec le froid (il fait environ 15°…) et malgré le gilet à grosses mailles et au gros tartan dans lequel je nage largement, gilet généreusement prêté par l’homme de la maison, gilet que je tente de dissimuler tant bien que mal sous mon imperméable bleu ciel tout fin, déjà rembourré par un blouson prêté deux jours plus tôt par mon père… malgré les couches vestimentaires donc, je tremble comme une feuille avec ce vent. Devant la poissonnerie, j’ai l’impression d’être sur les côtes du Finistère en novembre…
En ce lieu de contacts chaleureux avec les commerçants que constituent le marché, je commence à mesurer les prémices de la maladie qui ronge mon adorable grand-mère courbée par les années. A la maison, je réponds « boudin noir » à la question: « Que veux-tu pour le déjeuner? » Au marché, je réponds « boudin noir » à la question: « Que veux-tu pour le déjeuner? » Bon… ne pas blêmir… garder son calme… Elle n’a peut-être qu’oublié…
Nous achetons des crevettes. Fait pas chaud ce matin hein?! lance la poissonnière. Hop! dans le Caddy!
Nous achetons des tomates, des pommes et autres (les quantités me paraissent démesurées…) Et alors, on mange quoi au Japon? s’interroge le maraîcher. Hop! dans le Caddy!
Le peu de marchants rend l’endroit intime et le contact facile. Nous retournons à la boulangerie pour une autre baguette. Les tentations sont toujours là ! Hop! dans le Caddy!
Nous continuons chez le boucher. Retrouver cette ambiance de quartier, ce commerce de proximité me fait réaliser qu’il s’agit d’un concept sans frontière. Dans ma rue commerçante à Tokyo, c’est la même chose. Au Viêt Nam, société commerciale par excellence – c’est la même chose. La grande distribution tue le contact et aseptise nos goûts.
Le boucher est un comédien. Il tient un spectacle derrière ses présentoirs réfrigérés. Il est drôle, gai et souriant. Chaque client ressort avec un large sourire. Comme il y a une longue file d’attente, cela fait beaucoup de personnes avec le sourire! Hop! dans le Caddy!
L’expédition n’est pas terminée. Il faut maintenant réapprovisionner le stock de médicaments en visitant la pharmacie. En chemin, nous discutons de ma première cousine et de sa situation. Nous entrons dans la boutique.
– Ah madame Mailliet, comment allez-vous ce matin?
– Tout le monde se connaît, c’est sympa.
– Voici mon petit-fils. Il habite au Japon. Il est venu me rendre visite.
– Au Japon?! C’est pas à côté ça!
La pharmacienne passe dans son arrière boutique et sort un tiroir entier de médicaments, le pose devant nous.
– Voilà votre ordonnance madame Mailliet!
Je suis effaré. La quantité est astronomique. Elle se lance dans la posologie comme dans un concours de gymnastique buccale. Je ne peux pas suivre entre ce médicament en telle quantité le matin, le midi puis le soir, celui-là seulement le matin et le soir, cet autre 300g le soir, etc. Le Caddy est désormais rempli d’un dizaine de médicaments différents, chaque médicament en une dizaine de boîtes! Hop! dedans!
Nous sortons et nous dirigeons vers la maison. A nouveau, la même version de la situation de ma première cousine. Bon… ne pas blêmir… garder son calme…
Une fois au chaud, je sors les provisions et les range dans la cuisine. Les crevettes! Vite au frais! Tiens, y a déjà des tomates dans le frigo?! Voyons… 1, 2… 6?! J’ouvre le sachet en papier contenant les tomates achetées 30 minutes plus tôt. Il y en a 7-8.
– Euh tu vas faire quoi ce toutes ces tomates?
– Ah il restait des tomates?
Bon… ne pas blêmir… garder son calme… Je lui donne son monticule de médicaments. Comme c’est important, autant qu’elle range cela où elle a l’habitude.
Je file voir mon grand-père dans son bureau. Je le devine derrière ses colonnes de papiers, son ordinateur et son Minitel.
– Je travaille sur mon livre sur la production Renault du début du siècle. J’analyse 2008 maintenant.
Il me montre tout son travail dactylographié sur le recensement de la chaîne de production et me sort les documents d’archives des usines Renault qui lui servent de base. C’est fascinant! Je suis sous le charme. Il a des dossiers entiers qui recensent tout ce qui était produit. C’est colossal. Pas étonnant que l’équipe de James Cameron l’ait contacté pour lui demander le modèle qui fut transporté sur le Titanic. Seul le numéro du moteur ayant été noté, il a donné deux modèles à l’équipe du film. Les deux modèles équipés avec ce moteur. Ils ont dû choisir un des deux.
– Je prépare aussi le 90e anniversaire du 11 novembre pour 2008. Regarde!
– On se refait un défilé sur les Champs alors?
– On verra. Ce n’est pas organisé encore. Il y a beaucoup de travail.
9 ans plus tôt en effet, j’ai défilé sur les Champs-Elysées vides en ce jour de commémoration, en uniforme, sur une voiture d’époque. Un grand moment. C’était le 11 novembre 1998, pour les 80 ans de l’armistice. Une quinzaine de taxis de la Marne, un tank et différents véhicules d’époque, juste après le dépôt de la gerbe sur le tombeau du soldat inconnu par Jacques Chirac. Un grand moment, comme un achèvement pour mon grand-père habillé en général et ma grand-mère en infirmière, dans la voiture de tête, ce jour-là .
Pendant ce temps-là , ma grand-mère a fini de préparer le déjeuner. Boudin et pommes cuites au four. Je déguste cet objet peu ragoûtant car je n’en ai pas mangé depuis longtemps… très longtemps. C’est bon. Nous discutons de diverses choses durant tout le repas, nous poursuivons notre échange sur les vieilles voitures. Nous abordons aussi avec sérieux le sujet de vieillesse ainsi que celui de leurs accidents. Ces derniers constituent pour eux un signal l’alarme fort sur leurs capacités disponibles restantes. L’un et l’autre expriment avec émotion les conclusions qu’ils tirent de chaque mésaventure. La peur et la résignation se ressentent dans le timbre de leur voix. Les mimiques des visages sont tendues. Leurs têtes se penchent en avant, vers le sol, comme pour illustrer l’épilogue qu’ils devront tôt ou tard affronter.
Au moment du dessert:
– Flûte! J’ai oublié de passer à la pharmacie pour récupérer mon ordonnance! jette d’un coup ma grand-mère.
– Mais si, on y a été ensemble. Je vais chercher les médicaments. Rester calme… rester calme… ne pas paniquer… Respirer… Je me dirige vers la chambre d’amis où il me semble qu’elle a déposé la valise de médicaments au moment où nous sommes revenus du marché. Je lui ramène.
– Ah oui, c’est vrai! On y est allé! rétorque-t-elle embarrassée.
Afin de la rassurer, je lui prépare moi-même tout son attirail. J’épluche le papier du médecin et sélectionne dans la masse, les choses à prendre au moment du déjeuner. Elle résiste légèrement car elle n’aime pas beaucoup prendre tout cela mais comme je lui prépare avec soin, comme je m’occupe d’elle soigneusement, elle prend religieusement les petits tas que je dispose devant elle, sur la nappe, à côté de son verre.
Je débarrasse, je range la table. Au moment de déposer le pain dans son compartiment, je vois du pain d’épices. Une autre gourmandise (je suis définitivement un pécheur, pardon seigneur! ) que je n’ai pas fait fondre sur ma langue depuis bien longtemps.
– Ah mais celui-là est moyen! lance ma grand-mère.
– Oui, on l’a acheté rapidement, juste histoire d’en avoir rajoute mon grand-père.
– Je connais une boutique à Versailles (nous n’en sommes pas loin) qui fait un excellent pain d’épice! propose alors ma grand-mère.
– On pourrait y aller alors. Ca fait tellement de temps que je ne suis pas allé à Versailles! proposé-je. Le quartier Notre-Dame est tellement agréable pour une promenade.
– Et bien nous irons tout à l’heure alors.
Je dois régler ma journée du lendemain et passe l’heure suivante à téléphoner. J’ai besoin de louer une voiture pour 12h. Je réserve auprès de différents loueurs afin de connaître les tarifs. Chiant! Je dois parcourir quelques centaines de kilomètres pour la journée galère de ma semaine à Paris. Après avoir raccroché pour mon dernier appel, ma grand-mère me dit délicatement:
– On n’a pas vraiment besoin de notre voiture demain. Si on demande à ton grand-père et s’il est d’accord, on pourrait te la passer.
– C’est vrai?! Ca serait génial! Ca m’aiderait beaucoup et me ferait économiser 150€!
Cela ne pose aucun problème à l’archiviste national des usines Renault. Je suis très heureux. Je téléphone à nouveau à chaque loueur pour annuler, muni de mon numéro de réservation, le genre de séries alphanumériques infernales qui permettent de réviser son alphabet radio international: Alors, C comme Casablanca, V comme Valence, 8 comme 4+4 euh pardon, c’est pas nécessaire ça… Pour chaque numéro, il y a environ 15 à 20 composants.
– Merci monsieur Riveau. Bonne fin de journée.
J’avoue m’être fait tout un tas d’histoires à propos du service en France. Sur les trois jours déjà écoulés et sur ceux à venir, je trouve les magasins, les services et les commerçants très disponibles, gentils. Il faut dire que la qualité du service au Japon déforme complètement la vision des choses. Et à l’autre extrême, les pays asiatiques que je connais (Chine, Thaïlande, Viêt Nam) aussi. Ici, au Japon, la prestation suit un tel code afin que le client sorte satisfait que l’idée de « négocier » avec à un vendeur ou demander quelque chose dans un autre pays donne des angoisses. Ces angoisses à la sueur odorante sous les aisselles, le long des bras ou dans le dos… Le client est roi n’est pas un mythe au pays du soleil levant. Le principe est cependant sérieusement mis à l’épreuve lorsque je me rends en Chine où on a, bien souvent, l’impression de déranger – voire d’emmerder – les personnes. Comme si le reste du monde était, par rapport au Japon, le rayon bricolage du BHV avec ses vendeurs d’un autre âge. Je suis ravi de constater que je me suis bien trompé sur ma ville natale et trouve, pendant mon séjour, une qualité de service excellente où que j’aille. Observations.
Nous mettons le pied dehors, en direction de la voiture, la pluie commence! Elle devait avoir rendez-vous avec nous juste devant l’immeuble. Elle est pile à l’heure! Froid et humide… l’alliance que je hais plus que tout au monde. Même les lasagnes à la menthe sont plus tolérables! Elle ne fait qu’empirer pendant notre promenade. Une fois à Versailles, nous devons même nous abriter – nous n’avons qu’un parapluie – devant la vitrine d’un bijoutier tout à fait banal. Mes chaussures deviennent un vase rempli d’un jus douteux. Je suis frigorifié. Il m’est tout à fait impossible de me réchauffer.
Dans la rue de la Paroisse, je craque devant la vitrine d’un confiseur. Non seulement la boutique est belle mais en plus, les denrées semblent délicieuses. Vite! des pâtes de fruits! Régal. Sortir? Euh non! pas de suite… si je ne peux sécher, puis-je au moins me réchauffer?… Nous sommes justement dans la rue où se trouve le magasin qui vend le pain d’épice, raison de notre venue. Nous descendons la rue sur la droite. Nous la remontons de l’autre côté. Rien! Il n’y a aucune boutique qui en propose. Ma grand-mère ne peut ni retrouver l’emplacement, ni le nom. Elle est persuadée d’une chose: c’est dans cette rue. Nous ne trouverons rien. Bon… rester calme… ne pas paniquer…
Le quartier reste très agréable à visiter. Nous souhaiterions juste éloigner la pluie. En route vers la voiture, j’entends pour la troisième fois la même explication sur la situation de ma cousine. Bon… ne pas blêmir… respirer… pas de panique…
La journée se finit très rapidement. Le soir arrive vite. L’heure du dîner et celle de partir aussi. Tout est passé plus vite que je ne m’y attendais. Je suis enthousiasmé de ce moment avec eux et ils me remercient chaleureusement de leur avoir consacré toute une journée.
– Voilà ! c’est notre quotidien me lance mon grand-père.
– Tu vois, c’est tranquille ajoute ma grand-mère.
Même si dans la voiture je rentre un peu inquiet du constat de leurs problèmes de santé, j’ai pu ressentir une force dans le couple, dans le fait qu’ils soient deux et cela me réconforte. Au moins ils sont deux me dis-je en passant devant la tour Eiffel habillée d’une jupe lumineuse verte (serait-elle bleue?) et affublée d’un ballon ovale qui, de loin, ressemble à une gigantesque antenne parabolique. Au moins ils sont deux.
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C’est vraiment sympa de te lire, t’as vraiment un don, j’y étais dans cette journée, c’est vrai que la vieillesse est délicate mais c’est surtout la maladie qui est à craindre, car ils vivent à leur rythme, pas forcément le nôtre, le chapitre sur les médicaments m’est familier mon père en absorbe une quantité invraisemblable et je me suis toujours demandé le pourquoi de chaque pillules aborbées, avec l’age il deviennent aussi calé que les pharmaciens !! merci de continuer
Salut frérot!!!!
J’ai donc reçu ton mail vois-tu!
Et c’est avec plaisir que j’ai dévoré des yeux cette palpitante journée.
J’ai beaucoup aimé le passage de la « gymnastique buccale » de la pharmacienne. Je le ressortirai…
C’est cool de découvrir ton écriture, je trouve ca génial. Chapeau bas.
Je t’embrasse a très vite.
tristan
Merci pour vos messages tous les deux! 😀
Comme tu dis Mo², on touche du bois pour les maladies!
Tu es prédisposé pour la « gymnastique buccale » Tri! A mon avis, Yo nous grille tous les deux, mais tu parles assez vite aussi je trouve! 😉
Plongée dans mon passé encore… Des souvenirs qui remontent… Souvenirs qui ne revenaient plus à ma grand-mère la dernière fois que je l’ai vue. Puis oui ces tonnes de médicaments…
J’ai également constaté lors de mes derniers séjours en europe que les commerçants étaient bien plus aimables que dans mes souvenirs, quoique les nord-américains ne partagent pas cette opinion. Il faut dire que dans un commerce nord-américain le client est le maà®tre absolu, alors qu’en france on va « chez » l’épicier, « chez » le boulanger, le boucher ou le pharmacien, un respect et une attitude que les commerçants attendent des clients alors évidement quand ces touristes mal-élevés rentrent comme chez eux ça grésille. On appelle aussi ça un choc culturel, mais subconscient.
En tous cas excellents écrits, et merci énormément de partager nos sou.. euh TES souvenirs!
Gil
Moi ça m’attriste tous leurs problemes de santés mais bon c’est la vie…
Oui je suis un chaud de la « gymnastique buccale » personne ne peut me testé lol
En fait, depuis que j’ai commencé ce blog, je pense distinguer un film conducteur dans mes messages: les souvenirs. Pour certains « articles », c’est évident, pour d’autre moins mais cela peut se deviner entre les lignes. Ca me fait réfléchir en fait. Je suis touché que tu t’y retrouves Gil. Merci pour ton message! 😉
Et oui ‘tit frère! Ca pas marrant de vieillir… bon et la gym buccale en japonais? Ca te branche?