Le rendez-vous est à neuf heures. Papa qui a passé le nuit à l’hôtel doit arriver vers neuf heures pour que nous partions ensemble vers Paris. Je prends mon petit déjeuner avec ma grand-mère. Assurément, nous nous sentons un peu tristes. Ces deux petits déjeuners (de quand date notre dernier petit déjeuner ensemble?!) me rappellent une foule de souvenirs.
Ecolier, Mamiline venait me chercher le mardi soir, à mon école. Chaque semaine, nous faisions le trajet Jourdain – Trocadéro en métro. Je passais la nuit chez elle de temps en temps. Ou bien papa venait me chercher, me laissait chez elle le mercredi et j’y passais ma journée. Je traversais le palier pour aller dans l’appartement de mon arrière grand-mère. Les portes étaient d’ailleurs souvent ouvertes, passer d’un appartement à l’autre semblait naturel. J’adorais les goûters durant lesquels Mamijeanne (mon arrière grand-mère) confectionnait des tartines beurrées recouvertes de copeaux de chocolat qu’elle coupait soigneusement d’une plaquette de qualité. Je croquais à pleines dents et me fourrais des petits morceaux de chocolat dans les narines avec délectation.
Papa arrive vers 9h15. Il discute avec sa mère de sa situation et de sa santé pendant que je termine de préparer mes affaires et défais mon lit. Il me faut partir car je dois régler mes démarches bancaires une bonne fois pour toute. Sur le pas de la porte, j’embrasse tendrement la femme de mes nombreux mercredis après-midi d’écolier. Elle nous salue de son balcon dans le froid de ce début d’automne. Le vent balaie la façade de l’immeuble. Je lui crie de rentrer rapidement de peur qu’elle ne tombe malade.
Chacun dans nos voitures, papa et moi prenons la route. J’aurais aimé ne prendre qu’une voiture pour des raisons d’économie d’énergie évidentes ainsi que pour discuter tranquillement mais voilà … ce n’est pas possible. En raison de mon emploi de temps, je n’ai pas du tout eu l’occasion de m’asseoir avec lui pour avoir une vraie discussion. Pendant mon retour précédent, il y a deux ans, nous nous étions épuisés toute une soirée à discuter sans nous lasser une seconde. Un moment comme nous n’en avions jamais partagé. Nos vies respectives, nos bonheurs, nos malheurs, nos regrets… le moment fut précieux pour lui comme pour moi. J’espérais partager à nouveau un tel échange mais cette année, ma visite est trop rapide et nous n’avons fait que nous croiser.
De retour dans le véhicule régulé qui me déplace du nord vers le sud, je compte les minutes qui me reste avant la fermeture des agences bancaires. Il est amusant de voir toute une farandole de voitures qui se suivent comme remorquées les unes aux autres. Nous sommes plusieurs à avoir mis le régulateur à 134km/h et le type importe peu. Berline allemande, monoplace française, tourisme anglaise… Papa double, je double. Je double, la voiture derrière double et ainsi de suite. L’automatisation est étonnante et inquiétante. Serait-ce une préfiguration d’un meilleur monde?
A compter les minutes, le trajet me semble trop long. A peine arrivé, je débarque en trombe.
– Adriiiiiieeeennn!
– Keskiya?
– Tu peux m’aider à sortir mes cartons de la voiture steuplé?
– Ouaip! Pas de problème.
Le petit frère costaud – ex-rugbyman qui a foulé la pelouse du stade de France – en prend deux pendant que je transporte le dernier, le plus léger, tant bien que mal, avec mes bras faméliques. Posés dans l’entrée (les cartons, pas mes bras…), je me précipite à la Société générale de l’avenue Mozart pour déposer un chèque car il me faut bien remplir la panse de cette bête insatiable avant de m’enfourner dans le métro pour filer à la Bred, rue de Rivoli. J’entre, il est 12h30, elle ferme à 13h…
– Ah monsieur Riveau! J’ai votre carte!
– Oh! et je peux l’utiliser?… miracle!
– Il suffit d’y croire… une petite signature s’il vous plaît.
– J’ai besoin de signaler un changement d’adresse, stopper mon abonnement internet, vendre mes parts…
– Il me faut une lettre signée.
– Bien! Vous avez une feuille et un stylo? Il me reste 20 minutes n’est-ce pas? Comme je suis assez propre comme garçon, ça devrait suffire.
C’est sans prendre en compte la petite tête blonde impatiente qui se trouve malgré lui dans cette cage dorée transparente. Assise à la table qui m’a été désignée pour rédiger, sa maman attend son rendez-vous. Tel un photon rebondissant dans une fibre optique à sa vitesse de croisière, l’enfant parcourt l’agence, ouvre les portes des bureaux, se faufile derrière le comptoir en revenant systématiquement vers son noyau: la table! Le tout en vociférant comme pour nous rappeler qu’un chou crie lorsqu’on le coupe. Ou serait-ce le cochon?
Ma première tentative reçoit gracieusement sa bénédiction palmaire graisseuse.
– Euh… monsieur Sergent, vous avez une autre feuille s’il vous plaît?
La deuxième est emportée par le tsunami de revues et brochures insipides et néanmoins lourdes du coin de la table.
– Euh… monsieur Sergent…
La troisième, au moment d’y apposer ma signature subit la correction – en rouge s’il vous plaît! – du maître incontesté et invaincu de l’arène équipé de son arme ultime.
Regard vers la maman qui n’a rien remarqué. Ceci explique cela…
– Bon, vais me trouver un point culminant… dans la stratosphère de ce monde photonique…
Je me glisse parmi les dépositaires de liquide et de chèques…
– Fichtre! il doit faire toutes les fontaines de Paris lui avec ses sacs de pièces… 😯
…et me trouve un bout de coin d’étagère pour terminer ma quatrième version saine et sauve!
– J’ai réussi!
– Très bien. Je vais transmettre. Penseriez-vous à nous quitter?
– On ne peut rien vous cacher…
Sur le trottoir de Rivoli, je parviens enfin à me détendre. J’ai pu tout faire! Le boulet (voir la journée du 27 septembre) est bel et bien désintégré. Plus de carton, changements bancaires effectués, je suis liiiiibre! Je ne suis plus un numérooooo. Tel le numéro 6 héros manichéen d’un happy end dignement mérité, je retourne dans le métro. Je rentre au domicile paternel, il est 13h30. Vanné!
– Un déjeuner pour te remettre! me lance Françoise. J’étouffe un « Encore manger! » mais rejoint la table avec plaisir pour ce dernier déjeuner avec eux.
Il me reste un peu de temps avant la grande réunion de la famille maternelle qui commence en fin d’après-midi. Je monte dans ma chambre pour préparer ma valise car je n’aurai pas assez de temps demain matin et vais me promener à Passy. Le temps s’est légèrement réchauffé (hum, hum…) et je profite des rues du XVIe arrondissement une dernière fois. L’animation du milieu d’après-midi du samedi me réjouit. Passage obligatoire au Monoprix (euh j’en suis à combien en 6 jours?!) puis chez Hédiard avenue Paul Doumer pour les achats de souvenirs. Ne pouvant insérer toutes mes emplettes dans ma valise en raison de l’espace et d’un nouveau passage dans une région chaude, je fais tout envoyer par colis postaux. Le coût est supérieur au contenu… bon…
– Euh papa… je n’ai pas le temps de passer à la Poste pour envoyer mes paquets – et puis elle est fermée maintenant. Vous pourriez les envoyer pour moi? Ca serait très gentil. Tout est déjà payé!
– Bien sûr! pas de problème!
A 16h30, je reprends la voiture empruntée 36 heures plus tôt pour aller chez mes grands-parents. C’est la réunion de famille du séjour et tout le monde vient! Même l’oncle qui habite à Toulouse. Nous sommes 19 au total!
Maman a organisé un buffet pour aider ma grand-mère car cela fait beaucoup de préparation. Et puis les frères sont là , les cousins… l’ambiance habituelle se manifeste rapidement. Ca discute, ça interrompt, ça rigole un peu partout dans l’appartement. Comme on ne me voit pas souvent, la sollicitation est grande. J’explique aussi l’empreinte que m’a laissé la journée avec mes grands-parents à maman et mes deux tantes qui écoutent en secouant la tête comme pour exprimer la fatalité qui s’abat sur leur mère. Comme j’ai passé une journée entière avec elle, comme j’ai un regard « neuf », mes constatations intéressent même s’il n’y a pas grand chose à faire.
L’exhortation maternelle pour que le m’alimente se transforme parfois en pression.
J’ai encore ses remarques du début de la semaine qui sonnent à mes oreilles.
– Ah non mais tu es maigre là !
– Oui, je sais…
– Ah non mais tu es trop maigre! C’est pas beau!
– Ca ne me gène pas maman…
– Non mais c’est moche! Il faut que tu mange! Vraiment c’est moche!
Au cours de ce début de soirée, je sens ses regards en coin qui guette ma proximité avec le buffet. A chaque fois que je saisi mon assiette pour aller la remplir, je lance un « Hé maman! regarde! Je mange là ! regarde! » Je répète la blague plusieurs fois.
– Bon ça va! j’ai compris. T’es lourd!
– De nous deux, on se demande qui est le plus lourd! 😛
– C’est de l’humour là c’est ça? c’est de l’humour?
Il faut dire que le buffet est excellent. Tantes et maman ont fait des tartes et tout le monde se régale.
Je retrouve cette atmosphère dynamique et bruyante qui m’amuse et que je ne trouve nulle part ailleurs. Un peu plus tard, je ne sais qui glisse une vidéo et la télévision se met à diffuser des images vieilles de 12-13 ans des deux frères et du cousin Jonathan qui faisaient les idiots devant la caméra du grand-père. Parodies de films ou d’émissions… crise de rire générale de l’assemblée qui retrouve les gueules d’amour de l’époque. Souvenirs aussi car je faisais la même chose 6 ou 7 ans plus tôt à coup d’imitation du JTN. Et oui, la génération Canal+, les Nuls, c’est nous!
Cette dernière soirée parisienne et familiale termine mon passage en métropole avec plaisir.
A la fin de la soirée, mon plus jeune oncle nous ramène, mes deux frères et moi au métro. Les deux baraques futurs inspecteurs mais déjà gardiens de la paix m’escortent, je me sens en sécurité. Je pourrais même aller à Stalingrad en cet instant (23h30 un samedi…) que je n’aurais pas peur. Ils s’organisent pour terminer leur nuit en club ou en soirée. Yohann au téléphone gère un point de ralliement avec ses amis et demande à Tristan si cela lui convient. Je les accompagnerais bien (quoi?! je suis encore jeune d’abord!) mais l’avion demain matin… me retient. Une prochaine fois?…
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Génial l’épisode de la banque 😉
Mais comme ta mère dis « mange » moi qui ai eu la chance de déjà te voir en vrai t’as quand même un peu perdu du poid 😉
Mo² le lourd 😉
Moi de toutes les photos je ne vois qu’un frileux qui a un pull 😉 .
Toujours un plaisir de te lire… Puis je sais pas si j’aurais assomé la mère ou le gamin à la banque!
Envie de passer un commentaire sur le « régulateur de vitesse » comme on l’appelle chez nous (et je suis un client particulièrement assidu de ce gadget) :
Un « meilleur monde » ou un monde de peur du flic ? La sagesse au volant n’existe que par la terreur, l’homme le plus raisonnable devient un guerrier enragé avec un volant dans les mains s’il n’a pas la crainte du flic.
Cet épisode ressemble à nos retours dans le sud ! Des weekends ultra-overbookés, où l’on croise des gens toutes les heures, où l’on est obligé de planifier chaque demi-journée, où l’on discute une heure avec chaque personne pour s’échanger les dernières nouvelles, où l’on se rassemble avec toute la famille pour passer une bonne soirée. C’est vraiment amusant de lire ces récits depuis que je suis à Paris. Il y a un an, je n’aurais pas perçu les passages metro, quartiers, lieux parisiens de la même façon. Désormais je me vois carrément à tes côtés en train de les vivre. Excellent la photo avec tes frères ! Ca fait plaisir à lire tes retrouvailles.
Marchi les gars! 😳
>Mo² le lourd 😉
Tu vas pas faire comme ma mère hein?!
>Gil
Oui Gil, le bipède derrière son volant est un être métamorphosé, je suis d’accord. Mais le régulateur n’est qu’un outil pour éviter les engourdissements dans les jambes. Je l’avais mis à 134km/h (le limite est à 130) et je pouvais encore monter sans problème. Merci l’Europe! 😉
>James
Merci bonhomme. Je suis très attaché à mes deux petits frères. Je les ai attendus trop longtemps malheureusement et il y a un peu trop d’écart entre nous à mon goût mais bon… il y a un respect mutuel fort dont je ne me lasserai jamais!
Content que mes écrits trouvent des échos chez les gens. Ca me fait particulièrement plaisir de lire cela.
😉
lol, il n’y a pas de soucis frérot une prochaine fois avec plaisir.
On s’est bien poilé en tout cas.
on pense à toi.
bisous.
Alors Linou, il faut obéir à sa maman!! Tu viens quand à la maison que je te fasse reprendre un peu de poids? (j’ai plein d’Umeshu* qui t’attend)
Mignons les petits frères… un petit air de famille ???
*liqueur de prune, faite maison!!!
Dans la photo, vous etes tres tres joli !! Je suppose que vous avez beacoup de bons
souvenirs a Trocadero… J’habitais tout de pres de la ( rue Herran ), j’ y allais souvent
avec ma mere. Je me souviens la plus grande fontaine etait tellemant belle…Bien sur,
la Tour Eiffel aussi !